94.

Seul son instinct comptait, à partir de maintenant.

Le colonel Hudson se cramponna résolument à cette pensée.

Seuls ses réflexes comptaient.

Une image fugace du camp de prisonniers au Vietnam lui revint. Il songea aux leçons qu’il y avait apprises.

La tromperie. Parfois, il fallait même se tromper soi-même…

Monserrat ressemble au Lézard, pensa-t-il. Monserrat est exactement de la trempe du Lézard.

L’attention de Monserrat paraissait fixée sur Carroll. « Tout le monde t’a menti, Archer. Et de tous les mensonges, ton gouvernement est le plus grand. »

Un hurlement sortit de la gorge de Hudson. Au même moment, son bras se leva et décrivit un arc court et puissant.

L’avant-bras entaillé, Monserrat lâcha son Beretta. Un grognement barbare s’échappa de sa bouche – il montra les dents, comme un animal.

Un couteau à la lame aussi fine qu’une aiguille était apparu dans la main de Hudson, comme sorti de nulle part. Une poche de son pantalon se mit à battre au vent.

Monserrat s’était déjà écarté. Il était meilleur que le Lézard ne l’avait été.

Avec un mouvement digne d’une chorégraphie élaborée, le terroriste prit une position d’arts martiaux.

Hudson poussa un cri tout en feintant une attaque, puis une deuxième. Il dardait la lame du couteau devant lui avec précision et férocité.

Parades et ripostes s’enchaînaient.

Soudain la lame s’enfonça de plusieurs centimètres dans l’endroit visé. Dans la chair et les os de la cage thoracique de Monserrat. Celui-ci recula.

La lame ressortit de la plaie, plongea de nouveau vers l’avant, disparut dans la gorge de Monserrat. Le sang gicla.

Les jambes du terroriste se mirent à flageoler. Il fut pris de convulsions. L’expression de son visage n’était plus suffisante – ni confiante, ni flegmatique. Lorsque Monserrat s’affaissa, c’était de la surprise qui s’affichait sur ses traits.

Carroll, qui n’avait pas su sur qui tirer, avait observé le combat entre les deux hommes, attendant de voir qui en sortirait victorieux. Il pointa alors son Browning sur le colonel Hudson.

Soudain, il entendit le déclic parfaitement distinct d’une autre arme automatique !

Ce son troublant venait de derrière lui, dans la fumée de plus en plus épaisse. Carroll amorça un tour sur lui-même.

Il vit des hommes, crut les reconnaître. Quatre individus en treillis kaki fatigués l’encerclaient, sur le toit de cet immeuble de Brooklyn, leurs fusils M 21 braqués sur lui.

Ils ressemblaient à ces soldats aux côtés desquels Carroll s’était battu, plusieurs années auparavant. Il réalisa que c’étaient des anciens combattants. Les membres de Green Band. Il avait tout ce qu’il désirait savoir sous les yeux. Walter Trentkamp gisait devant lui, la gorge transpercée. Son manteau s’était ouvert comme un parapluie dans le vent. Son torse était ensanglanté et l’hémorragie se propageait à son pantalon. Ses yeux déjà vitreux ne voyaient plus.

Carroll essaya de s’accrocher à quelque chose. Il se mit à hurler de toute sa voix :

— Qui es-tu, Hudson ? Qu’est-ce que tu veux, bordel ? Qui t’a envoyé à Wall Street ?

Quelque chose de dur s’écrasa avec une force inouïe sur le dessus de sa tête.

Il tituba, faillit tomber, resta sur ses jambes. Le gamin des rues bagarreur et enragé qui subsistait en lui refusait de choir. Je les emmerde !

Carroll vit se mêler des filets de sang. Il eut la certitude qu’il devenait aveugle. La douleur, le chaos, les lumières qui explosaient sous son crâne. C’était insoutenable.

Qui es-tu, Hudson ? Une dernière question obsédante se forma sur ses lèvres. Il ignorait s’il la posa à voix haute ou non.

Il fit un autre pas vers Hudson et le corps avachi de Monserrat – de Walter Trentkamp.

La crosse en métal du revolver s’abattit de nouveau sur sa tête, frappant le même point sensible que la première fois, aussi fort.

Un épouvantable bruit de bouillie fit résonner son cerveau. Un feu s’alluma dans la partie gauche de sa poitrine.

Carroll sentit qu’il tombait ; il s’effondrait contre son gré. Il s’entendit gémir. Il lui vint à l’esprit qu’il était en train de s’étouffer dans son sang. C’était si triste, si injuste.

Il reçut un troisième coup de crosse de revolver.

Il se retourna et vit Hudson, debout devant lui. Carroll voulut parler. Merde, il n’y arrivait pas. Il avait tant de questions. Il lutta, avec tout ce qui lui restait de forces, pour ne pas perdre connaissance. Il lui en restait si peu. Pas assez, assurément.

Vendredi Noir
titlepage.xhtml
vendredi noir_split_000.htm
vendredi noir_split_001.htm
vendredi noir_split_002.htm
vendredi noir_split_003.htm
vendredi noir_split_004.htm
vendredi noir_split_005.htm
vendredi noir_split_006.htm
vendredi noir_split_007.htm
vendredi noir_split_008.htm
vendredi noir_split_009.htm
vendredi noir_split_010.htm
vendredi noir_split_011.htm
vendredi noir_split_012.htm
vendredi noir_split_013.htm
vendredi noir_split_014.htm
vendredi noir_split_015.htm
vendredi noir_split_016.htm
vendredi noir_split_017.htm
vendredi noir_split_018.htm
vendredi noir_split_019.htm
vendredi noir_split_020.htm
vendredi noir_split_021.htm
vendredi noir_split_022.htm
vendredi noir_split_023.htm
vendredi noir_split_024.htm
vendredi noir_split_025.htm
vendredi noir_split_026.htm
vendredi noir_split_027.htm
vendredi noir_split_028.htm
vendredi noir_split_029.htm
vendredi noir_split_030.htm
vendredi noir_split_031.htm
vendredi noir_split_032.htm
vendredi noir_split_033.htm
vendredi noir_split_034.htm
vendredi noir_split_035.htm
vendredi noir_split_036.htm
vendredi noir_split_037.htm
vendredi noir_split_038.htm
vendredi noir_split_039.htm
vendredi noir_split_040.htm
vendredi noir_split_041.htm
vendredi noir_split_042.htm
vendredi noir_split_043.htm
vendredi noir_split_044.htm
vendredi noir_split_045.htm
vendredi noir_split_046.htm
vendredi noir_split_047.htm
vendredi noir_split_048.htm
vendredi noir_split_049.htm
vendredi noir_split_050.htm
vendredi noir_split_051.htm
vendredi noir_split_052.htm
vendredi noir_split_053.htm
vendredi noir_split_054.htm
vendredi noir_split_055.htm
vendredi noir_split_056.htm
vendredi noir_split_057.htm
vendredi noir_split_058.htm
vendredi noir_split_059.htm
vendredi noir_split_060.htm
vendredi noir_split_061.htm
vendredi noir_split_062.htm
vendredi noir_split_063.htm
vendredi noir_split_064.htm
vendredi noir_split_065.htm
vendredi noir_split_066.htm
vendredi noir_split_067.htm
vendredi noir_split_068.htm
vendredi noir_split_069.htm
vendredi noir_split_070.htm
vendredi noir_split_071.htm
vendredi noir_split_072.htm
vendredi noir_split_073.htm
vendredi noir_split_074.htm
vendredi noir_split_075.htm
vendredi noir_split_076.htm
vendredi noir_split_077.htm
vendredi noir_split_078.htm
vendredi noir_split_079.htm
vendredi noir_split_080.htm
vendredi noir_split_081.htm
vendredi noir_split_082.htm
vendredi noir_split_083.htm
vendredi noir_split_084.htm
vendredi noir_split_085.htm
vendredi noir_split_086.htm
vendredi noir_split_087.htm
vendredi noir_split_088.htm
vendredi noir_split_089.htm
vendredi noir_split_090.htm
vendredi noir_split_091.htm
vendredi noir_split_092.htm
vendredi noir_split_093.htm
vendredi noir_split_094.htm
vendredi noir_split_095.htm
vendredi noir_split_096.htm
vendredi noir_split_097.htm
vendredi noir_split_098.htm
vendredi noir_split_099.htm
vendredi noir_split_100.htm
vendredi noir_split_101.htm
vendredi noir_split_102.htm
vendredi noir_split_103.htm
vendredi noir_split_104.htm
vendredi noir_split_105.htm
vendredi noir_split_106.htm
vendredi noir_split_107.htm
vendredi noir_split_108.htm
vendredi noir_split_109.htm
vendredi noir_split_110.htm